L'utérus égoïste

Publié le par Joan Dormessen

Ma mère m'a toujours bassinée avec l'idée que ne pas vouloir d'enfant était un choix égoïste, idée contre laquelle (comme presque toutes ses idées d'ailleurs) je me suis toujours insurgée. A la rigueur, voulais-je bien admettre, un enfant peut nous forcer à ne plus centrer notre attention que sur nous même, mais de là à élargir l'idée, inverser la cause et l'effet, et en reporter le schéma contraire sur le cas des couples sans enfants, c'est du délire. Et j'allais même plus loin. Pour moi c'était à l'inverse un choix altruiste, alors que le désir d'enfant était éminemment égoïste : tant qu'il n'existe pas, on peut difficilement prétendre vouloir mettre au monde un individu parce qu'on veut son bonheur ! Non, on veut l'enfant pour soi, parce qu'on pense avant tout que LUI nous rendra heureux. J'ai un peu l'impression de dire des évidences, mais bon, visiblement c'est pas si évident pour tout le monde. Deuxièmement, en aucun cas, même dans le cas d'une éducation PARFAITE (comme la mienne !), on ne peut garantir que son enfant sera heureux. A vrai dire, c'est même un challenge, parce qu'on part plutôt perdant. Il va falloir lutter contre un florilège d'attaques au bonheur aussi sournoises que diverses, comme les coliques du nourrisson, le prix du loyer pour un appartement chambre d'enfant comprise, les mesquineries des camarades de classes, les pédophiles, les tentations dangereuses, les chagrins d'amour, les examens, le chômage, la maladie, etc.*


Alors oui, ça me paraît tout de même logique d'admettre que j'ai fait cet enfant parce que je suis profondément égoïste, et que j'avais peur de souffrir d'une terreur amère à la fin de ma vie : celle de ne rien laisser de moi, MOI, et re-MOI. L'égocentrisme suprême.

J'ai donc une profonde admiration (contrairement à ma mère) pour les couples qui font le choix de ne pas se reproduire, et tout spécialement pour les femmes, parce que c'est surtout sur elles que pèsent la pression sociale et les jugements hâtifs. A l'époque où j'ai moi-même essayé d'en faire partie (même si ça partait d'un dépit), je me suis aperçue qu'il était très difficile d'en parler. Mieux valait éluder la question devant les innombrables couples d'amis déjà parents qui nous harcelaient avec leurs "Et vous, quand est-ce que vous vous y mettez ?", plutôt que de leur répondre une vérité apparemment dérangeante. Le "Non merci, pas pour nous !" ne passe pas bien, force est de le constater. Mais alors pourquoi se risquent-ils à poser cette question ! D'autant qu'ils ne sont pas à l'abri de commettre un impair, de tomber sur un couple qui essaie désespérément d'avoir un enfant, voire sur un couple qui a perdu un enfant. Mais non, il semble que ce soit une sorte d'injonction, peut-être même une règle de bienséance : un couple de parents doit toujours s'enquérir du planning de baise utile (à fonction reproductrice) de tous ses autres couples d'amis. Je dis "tous", parce qu'il ne faut surtout pas se croire à l'abri une fois qu'on s'est enfin décidé à leur pondre le fucking marmot. Non, la question continue : avant même mon retour de couches, j'ai été sommée à plusieurs reprises de donner des pistes - évidemment pleines d'espoir - sur la résolution du problème "À quand le deuxième ?".

Je m'en vais d'ailleurs vous conter une petite anecdote qui vous enfoncera bien ces vérités dans le crâne en illustrant parfaitement mon propos, avec force redondance. Je reviens pour cela à cette courte période où j'ai tenté de devenir une parfaite "childfree". A cette époque, une des plus ouvertes d'esprit de mes amies m'avait fait la surprise de se montrer différente de moi sur ce point, en décidant de faire un gosse. J'étais assez estomaquée : ça ne lui ressemblait encore moins qu'à moi. Quelques mois plus tard, une fois remise de ses suites de couches et de ses nuits sans sommeil, ma copine fait un petit dîner de filles et m'invite. Arrivée chez elle, on n'y coupe pas, il FAUT aller dire bonjour à l'enfant avant son dodo, lui faire des mamours et des compliments, et se disputer pour savoir laquelle de nous aura la chance de le prendre dans ses bras quelques instants. Toute tentative de dérogation à ce code sera mal perçue. Et puis, plus tard, dans la soirée, la fameuse question est posée, et chacune se doit de répondre où elle en est sur son chemin vers la maternité, en se voulant rassurante, les "bientôt" et les "comment résister quand je vois ton bébé" étant de mise. Mais ce jour là, j'ai voulu m'affirmer. J'étais en plein dans le fameux cas de l"impair" cité plus haut : je venais de réaliser - enfin, de croire, suis-je obligée de rectifier aujourd'hui - que ma vie se ferait sans enfant, j'en avais fait le deuil, ça avait été dur, mais c'était derrière moi et j'étais pleine d'optimisme pour mon avenir d'éternelle nullipare. J'ai donc expliqué que moi : non. Ça n'allait pas m'arriver, je l'avais CHOISI (semi-mensonge mais merde, j'avais bien le droit !) et je le vivais BIEN. Interlocage général. Incompréhension. Bloquage.

Quatre mois plus tard, je revois ma copine, et je revois ma copie (tout court), aussi, parce que Dame Nature, cette grande farceuse, m'a fourré un polichinelle dans le tiroir à ce moment même où j'étais en train de faire mon coming out de childfree, à la surprise générale, tout en noyant mon embryon dans le vin rouge. Et, à peine ai-je fait l'annonce de mon inconstance, m'apprêtant à l'assortir d'une plaisanterie fine au sujet de ma vocation ratée, ma copine me coupe pour décréter qu'elle le savait. Enervant. Passons. Dans la conversation qui suit, elle m'explique que le jour où j'ai annoncé que je ne voulais pas d'enfant et que ça ne me posait pas de problème (ce que je pensais sincèrement à ce moment-là), elle a pensé que je n'allais pas bien - What's the fucking fuck. Elle en a donc parlé à sa mère (la traîtresse, putain), et elles en sont venues toutes les deux à la conclusion que j'étais dépressive, et que j'allais forcément changer d'avis.

Voilà où je voulais en venir. Pour la plupart des gens, prétendre qu'on ne veut pas d'enfant, c'est soit monstrueusement égoïste, soit une maladie qui se soigne. Moi je suggère qu'on essaie petit à petit d'admettre que c'est un idéal qui se respecte.

 


* (au moment même où j'écris ces lignes, petit clin d'oeil de ma merveilleuse, adorable, génialissime petite fille : elle se marre en dormant. Priceless !)

 


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